Archives pour la catégorie deleuze

Deleuze : L’Apocalypse, ce n’est pas le camp de concentration (Antéchrist), c’est la grande sécurité militaire, policière et civile de l’Etat nouveau (Jerusalem céleste).

Il n y a peut-être pas beaucoup de ressemblances entre Hitler et l’Antéchrist, mais
beaucoup de ressemblance en revanche entre la Nouvelle Jérusalem et l avenir qu’on nous promet, pas seulement dans la science-fiction, plutôt dans la planification militaire-industrielle de l’Etat mondial absolu. L’Apocalypse, ce n’est pas le camp de concentration (Antéchrist), c’est la grande sécurité militaire, policière et civile de l’Etat nouveau (Jerusalem céleste).

Deleuze
Critique et clinique p61

Ce diaporama nécessite JavaScript.

fin du dernier cours à la faculté expérimentale de Vincennes – Juin 1980 – GD.

2- 03/06/80 – 2

Qu’est-ce que c’est que une bataille ?
Qu’est-ce que c’est un événement ? Un événement, ah, tiens la mort ! C’est quoi ? C’est un événement ?
Quelle est le rapport de l’événement et de la personne ? Une blessure, c’est un événement ? oui, si je suis blessé. Une blessure, c’est un événement ? C’est l’expression de quelque chose qui m’arrive ou qui m’est arrivé. Bon. Comment s’est individuée une blessure ? Est-ce que c’est individué parce qu’elle arrive à une personne ? Eh bien, est-ce que j’appellerai personne celui à qui elle arrive ? Compliqué.

Vous vous rappelez peut être, ceux qui étaient là, il y a je ne sais pas combien de temps, j’avais passé très longtemps à poser la question suivante : – qu’est-ce que c’est de l’individuation d’une heure de la journée.
Qu’est-ce que c’est que l’individuation d’une saison ?
Qu’est-ce que c’est que ce mode d’individuation qui, à mon avis, ne passait pas du tout par les personnes ?
Qu’est-ce que c’est que l’individuation d’un vent ? Lorsque les géographes parlent du vent. Tiens, justement ils donnent des noms propres au vent.

Notre problème rebondit. Comprenez ? c’est le même problème dans lequel on est pris depuis le début, tout le temps, à des niveaux differents.
Les uns diront : le nom propre c’est d’abord la personne. Et tous les autres usages du nom propre sont derivés.
Les autres, ils diront – là autant faire son choix, je suis tellement de cet autre côté que j’essaie de dire. Mais Non, vous savez, c’est pas comme ça… ça a l’air.., d’accord. Enfin c’est pas la première fois que ça a l’air et que c’est pas ça. Je crois vraiment que le premier usage du nom propre est que le sens du nom propre, il se découvre en dérivation avec les événements. Ce qui a été fondamentalement, ou ce qui est fondamentalement, indexé d’un nom propre, c’est pas des personnes, c’est des évènements. Je veux dire avant, la personne, il y a évidemment toute cette région très très curieuse. parce que, les individuations s’y font d’une toute autre manière.

J’invoquais le poème si beau de Lorca : « Quel terrible cinq heure du soir ! » Quelle terrible cinq heure du soir ! Qu’est ce que c’est cette individuation ? Dans les romans anglais. Je vous demande, juste de repérez ça, dans les romans anglais – Je dis pas toujours, dans beaucoup, chez beaucoup de romanciers anglais, les personnages ne sont pas des personnages. Tiens, on retombe dans Blanchot, avec heureusement, là, on le conforte, on se conforte avec lui. C’est les romanciers anglais, ils n’en parlent pas. Donc on a une autre source, peut-être pour donner raison à Blanchot. Mais dans beaucoup de romans anglais, à beaucoup de moments, surtout aux moments principaux, les personnages ne sont pas traités comme des personnes. Il ne sont pas individués comme des personnes.

Par exemple, les soeurs Brontë ont une espèce de génie. Elles ont une espèce de génie surtout l’une.., je sais plus laquelle c’est, alors je m’abstiens. Je crois que c’est Charlotte. Je crois que c’est Charlotte… Ne cesse pas de presenter ses personnages comme… C’est pas une personne. C’est absolument l’équivalent d’un vent. C’est un vent qui passe.

Ou Virginia Woolf, c’est un banc de poissons. C’est une promenade. C’est pas… Tiens, je retrouve le même cas.., justement ce que Benveniste négligeait et traitait comme mineur : » Je me promène ». C’est précisément il suffit que je me promène pour ne plus être un « Je ». Si ma promenade est une promenade, Je suis plus un « je », je suis un évènement.

Celle qui a su faire ça à merveille, dans la littérature anglaise, c’est évidenment Virginia Woolf. Virginia Woolf, dès qu’elle fait bouger un héros, il perd sa qualité de personne. Grand exemple, dans Virginia Woolf, la promenade de Mrs Dalloway. « Je ne dirai plus : je suis ceci ou cela, conclue Mrs Dalloway. Je ne dirai plus, je suis ceci ou cela… Je ne dirai plus « je », J’ai un problème d’individuation.. c’est très curieux, mais il faut se méfier des trucs. On en a jamais fini. On se disait au besoin. Ah, bien, il y a un vague choix entre quoi et quoi ? Entre dire « je » et dire le néant, ou dire « je » ou dire « l’abîme indifferencié ». La forme de « je » ou le « fond sans visage ».

Il y a des auteurs, il y a des penseurs. Traitez-les comme des grands peintres – quand je disais en philosophie il y a autant de création d’ailleurs, c’est comme la peinture, c’est comme la musique. Il y a des grands philosophes qui ont fonctionné dans ces coordonnées là. La forme de l’individu ou l’abîme indifferencié. Et Dieu qu’ils avaient du génie ! un de ceux qui a poussé le plus dans cette direction, c’est Shopenhauer qui chantait, le malheur de l’individuation, mais l’individuation étant conçue comme l’individuation de la personne et l’abîme indifférencié. Et Nietzsche, jeune, sera pris là-dedans et « La Naissance de la Tragédie » en reste encore à ces coordonnées. Très vite, Nietzsche se dit qu’il y a une autre voie. C’est pas une voie moyenne. C’est une toute autre voie qui bouleverse les données du problème. Il dit : « mais non, le choix, il n’est pas entre l’individuation de personne et l’abîme indifferencié. Il y a un autre mode d’individuation ».

Donc il me semble que précisément, c’est tous les auteurs qui tournent autour de cette notion trés trés complexe d’évènement. Une individuation de l’événement qui ne ramène pas une individuation de personne. En quoi il y a une morale ? Il y a une morale, partout, dans la personnologie que je decrivais tout à l’heure, il y a toute une morale. Comprenez ? Comprenez Benveniste est un moraliste du langage. C’est un moraliste du langage, simplement son moralisme est un moralisme de la personne. Dans l’autre cas, il y a peut-être autant de morale mais il se trouve que c’est pas vraiment la même. C’est ni la même dignité, c’est pas la même sagesse, c’est pas la même dissipation.., c’est pas la même non-sagesse, c’est pas.. tout change.

Pourquoi ? Parce que si vous vivez que votre individuation n’est pas celle d’une personne.., bon, mettons, pour reprendre que les termes que j’employais la dernière fois , c’est celle d’une tribu par exemple. Je suis une tribu. J’ai mes tribus. Bon, j’ai mes tribus à moi. Donc vous allez me dire « T’as dit à toi », donc « T’as dit j’ai ». Donc la tribu, c’est subordonnée toi/moi. Ah non, toi/je . Je dirais non, vous n’avez pas compris, ne m’embêtez pas avec le langage ! une fois quand je dis « le soleil se lève ». Alors j’ai dit : J’ai mes tribus. Ben, mais, soit que dans la formule » J’ai mes tribus », ça n’est pas que j’ai une tribu surbordonnée de « je » et à « mes » . C’est à dire au pronom personnel de première personne qui est au possessif. C’est que « je », en fait, est individué sur le mode des tribus, c’est-à-dire une individuation qui n’est pas, qui n’est pas du tout l’individuation d’une personne. Alors je dis, est-ce que ça ne change pas tout ? Là aussi, la question n’est pas de savoir qui a raison. Si l’on dit maintenant, ben, vous voyez, le nom propre il désigne avant tout des événements. Il désigne des vents, il désigne des événements. Il ne désigne pas des personnes. C’est seulement et secondairement en dernier lieu qu’il désigne des personnes. C’est-à-dire on fait l’anti-Benveniste, c’est pas pour ou contre Benveniste.

C’est parce qu’on tient un autre chemin. Qu’est-ce que ça voudrait dire ? Pourquoi je me mets à parler de l’individuation par événement, par opposition à l’individuation. A ce moment-là, j’ai dit presque l’individuation sur le mode de la personne, Qu’est-ce que ce serait ? Uniquement, uniquement, une fiction linguistique, ca n’existe pas. Je dirais ça parce que j’en ai envie. ;… Evidemment à ce moment-là, tout personnologiste supposez ce que ce soit. Si c’était vrai, évidemment la personnologiste ne peut identifier une fiction, ou quoi. Bon, mais, qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? Ça peut vouloir dire, ben voilà, il faudrait dire, ça doit être l’événement. C’est une drôle des choses, des événements, parce qu’il faut distinguer pas dans l’évènement à son tour, il faut distinguer deux choses. On n’en aura pas fini toutes ces distinctions. On va déplacer les distinctions. Je suis blessé, aïe !la blessure…. un couteau s’enfonce en moi…

Joe Bousquet, c’est un auteur trés curieux, c’est beau c’est beau. Il a reçu une blessure, par l’éclat d’obus, pendant la guerre de 14/18. Il en est sorti – il est mort il n’y a pas très très longtemps. Il en est sorti, paralysé, immobile. Il a vécu dans son lit, il a beaucoup écrit, tout ça. Il a écrit pas du tout sur lui, heureusement. Il a écrit sur quelque chose qu’il estimait avoir à dire. Et voilà une phrase de Bousquet qui parait bizarre. Il dit « ma blessure », ma blessure me pré-existait, j’était né pour l’incarner ». Il y a beaucoup de choses. Qu’est-ce qu’il veut dire au juste ? Vous remarquez, seul quelqu’un de profondément malade, de profondément touché, peut tenir une proposition qui serait odieuse en tout autre bouche. Il faut bien que Bousquet et son éclat d’obus qui l’ait paralysé complétement, pour pouvoir tenir à une pareille proposition. « Ma blessure me pré-existait », ça parait une espèce d’orgueil diabolique, ou quoi. « Je suis né pour l’incarner ».

Si la phrase vous dit quelque chose.., acceptez cette méthode.., si la phrase vous dit rien, laissez tomber. Si la phrase vous dit quelque chose, on essaie de continuer. Qu’est-ce qui peut vouloir dire ? S’il peut vouloir dire, il me semble qu’il explique si bien lui-même, on le sent bien.., c’est qu’un évènement n’existe que comme effectué. Il n’y a pas d’événement non-effectué. Ça, d’accord. Il n’y a pas d’ »Idée platonicienne de la blessure ». Mais en même temps, il faut dire les deux, il y a dans l’événement toujours une part qui dépasse, qui déborde sa propre effectuation. En d’autres termes, un événement n’existe que comme effectué dans quoi ? Je retrouve les termes qu’on employait tout à l’heure.
Un événement n’existe que comme effectué dans des personnes et des choses… des personnes et des états de choses. La guerre n’existe pas indépendamment des soldats qui la subissent, indépendamment des matériels qu’elle met en jeu. C’est-à-dire effectuée dans les lieux qu’elle concerne. Effectuée dans des états des choses et des personnes. Sinon on parle de quoi ? de quelle guerre… une pure idée de la guerre, qu’est ce que ça veut dire ? Donc je dois maintenir que tout événement est de ce type.
Et en même temps, je dois soutenir que dans tout événement si petit qu’il soit, si insignifiant qu’il soit, il y a quelque chose qui déborde son effectuation. Il y a quelque chose qui n’est pas effectuable.

je ne peux pas aller trop loin. Qu’est-ce que ce serait, ce quelque chose qui n’est pas effectuable ? Est-ce que ce serait pas ce que j’appellais, l’individuation propre à l’événement qui ne passe plus par les personnes ni les états de choses. Dans un vent froid, voilà, dans un vent froid – si vous aimez le vent froid ou si je sais pas – il y a quelque chose, un vent froid n’existe pas en dehors de son effectuation dans quoi ? Dans des états de choses, exemple : la température qui le déclenche, qui l’entraine. Et dans des personnes, le froid éprouvé par des personnes, des animaux, etc.. Et pourtant quelque chose me dit – peut-être ce serait très légitime que certains entre vous me disent : ah moi, ça ne me dit rien du tout, ça.

Quelque chose me dit qu’il n’y a pas de vent froid qui ne déborde par, qui pourtant, est consubtantiel de cette part qui est celle de son effectuation. Et c’est là.., qu’i a une espèce de.., à la lettre, quel que soit l’événement qui nous arrive, il y a quelque chose qu’il faut bien appeller « la splendeur d’un événement » il déborde toute effectuation. A la fois il ne peut pas ne pas être effectué et il déborde sa propre effectuation. Comme s’il avait un « en plus », un surcroït. Bon. Quelque chose qui déborde l’effectuation par les choses, dans les choses et par les personnes.
C’est ça que j’appellerai la sphère la plus profonde de l’événement.

Pas la plus profonde, le mot est mauvais parce que c’est plus un monde de la profondeur, voilà j’emploie n’importe quel mot. Vous voyez, où je veux en venir, à ce moment-là, on comprend mieux les phrases de Bousquet où il dit, « le problème, c’est être digne » – alors là c’est toute sa morale à lui, « être digne de ce qui nous arrive » – quoi que ce soit qui nous arrive, que ce soit bon ou mauvais, il a presque penser même – ceux qui savent un peu – à la morale stoïcienne, elle prend une autre allure, la morale stoïcienne.

Accepter l’événement. Qu’est-ce que ça veut dire ? Accepter l’événement, ça veut pas dire du tout se résigner : « mon Dieu, tu as bien fait », c’est pas du tout chez les stoïciens. Je crois qu’ils avaient une idée, c’est pas par hazard, que les stoïciens c’est les premiers chez les Grecs qui font une théorie de l’événement, et qu’il l’a poussé très très loin de l’événement. Et ce qu’ils veulent dire précisément ça, que dans l’événement, il y a quelque chose qui nous appelle dans leur langage à eux ou il y a quelque chose qu’ils appellent « l’incorporel ». L’événement, à la fois, s’effectue dans les corps et n’existe pas s’il ne s’effectue pas dans les corps mais en lui-même, il contient quelque chose d’incorporel.

« Ma blessure existait avant moi, je suis né pour l’incarner ». C’est-à-dire, oui, elle s’effectue en moi mais elle contient quelque chose par qui ce n’est plus « ma » blessure. C’est « il » blessure.

Bon, on retombe dans Blanchot. Vous comprenez ? D’où « Etre digne de ce qui nous arrive ». Quoi que ce soit, que ce soit la merde, que ce soit une catastrophe, que ce soit un grand bonheur, il y a des gens qui vivent sur le mode, ils sont perpetuellement indignes de ce qui leur arrivent. Que ce soient les souffrances, que ce soient les joies et les beautés. Je crois que ce sont des personnologues. Je crois que c’est ceux qui centrent, qui font le centrage sur la première ou la seconde personne, c’est ceux qui ne dégagent pas la sphère de l’événement.

Bon. Etre digne de ce qui nous arrive, c’est une idée très curieuse, ou c’est un vécu très très curieux. C’est-à-dire ne rien médiocriser, quoi. Il y a des gens qui médiocrisent la mort. Il y a des gens qui médiocrisent leur propre maladie, pourtant ils ont des maladies. Je sais pas, oui, ils ont des maladies événements. Ben, il y a des gens qui rendent tout sale.., comme le type qui écrit « suicidez vous ».

Voilà une formule de médiocrité fondamentale. C’est pas quelqu’un qui a un rapport avec la mort.., absolument pas. les gens qui ont un rapport avec la mort, Ils ont au contraire un culte de la vie…. qui est autre chose et ils ne font pas les petits cons comme ça. Alors, bon, comprennez ? C’est ça être digne ce qui arrive, c’est dégager dans l’événement qui s’effectue en moi ou que j’effectue, c’est dégager la part de l’ineffectuable.

fin du dernier cours à la faculté expérimentale de Vincennes – Juin 1980