Pourquoi Alain Corbel est Un illustrateur hors du commun.
L’illustrateur risque à chaque image qu’il crée le triple écueil du
cliché, de la désignation fixe et de l’ellipse. Traduction.
L’image-cliché renvoie à l’évidence, au truisme et à la banalité. A
quoi bon le cliché quand le texte, par sa force, provoque l’image et
l’imagination ? A quoi bon le truisme quand l’image se résume à un
calque du texte qui a déjà dit ce qu’il vient de dire ? A quoi bon
rabaisser un texte à un sous-titre en image qui n’ajoute que peu sinon
rien à un texte, texte déjà existant (qu’il soit bon ou mauvais ne
change rien à l’affaire) ? A quoi bon une désignation fixe ? Platon
avait déjà vu, justement, que l’on ne peut pas dormir sur un lit en
peinture ! A quoi bon l’ellipse ? Son opacité demeure à jamais un
brouillard au sein duquel le lecteur augmente les statistiques de ses
accidents : il ne renouera avec le fil de l’intrigue que par occasion
– ou hasard. A moins de prêcher en compagnie (plus que louable) avec
le père Malebranche, il risquera, précisément, tous les décrochages et
les chutes de branches rongées car pourries.
L’illustrateur authentique et talentueux s’illustre (sorry) par une
éloquence discrète dont le synonyme exact est le tact. Qu’est-ce que
le tact à l’heure du spectacle sonnant et trébuchant du « tackle »
universel ? Le tact est à la fois l’opposé et l’inverse. Le tact
résiste au tackle et le tact subvervit le tackle. Anti-croche-patte,
le tact est courtoisie délicate et force autonome. Il ne peut être
confondu avec l’indifférence polie et il existe en tant que tel.
Partisan du mariage-pour-tous le Tact va d’ailleurs bientôt célébrer
ses noces laïques avec le Respect, son ami de toujours.
La preuve que Corbel est un Illustrateur vrai. Chacun peut faire
l’expérience suivante ( ce serait un jeu sans rôle ). Les règles
seraient ainsi prescrites : prenez les images d’un livre illustré par
Corbel et découpez-les. Sortez-les de leur contexte ( et de leur
hyper-texte a fortiori ). Mélangez-les. Rien à voir ici avec le cut-up
de Burroughs. Tout à voir avec le Raymond Roussel de « Comment j’ai
écrit certains de mes livres ». Voilà les images éparpillées. Membra
disjecta. Puis faites des insertions aléatoires des images au sein du
fil narratif du texte. Que voyez-vous ? Simple : l’intrigue demeure
intacte (tact de l’image). Dès lors, vous pouvez vous dire avec
certitude : oui, ces images ne sont pas de trop ; oui, ces images
racontent leur propre histoire ; oui, le récit est vraiment illustré.
Avec les images d’Alain Corbel, l’illustration fait foin de son
quant-à-soi, loin de la hauteur imaginaire d’une présomption ridicule,
près, si près du texte qui devient récit – récit augmenté car ouvert
du coup, par la grâce somptueuse et tactile du trait, du dessin.
N’était-ce pas pas la source et le dessein de l’art pictural chinois à
l’époque Song où écriture, peinture et dessin ne faisaient qu’Un ?
voir le site d’Alain Corbel
Didier Bazy
Février 2013.



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